"DROIT BANCAIRE - Panorama de la jurisprudence en matière de contestation du taux effectif global (TEG) d'un prêt ", par Nathalie MARRACHE, Avocat à Périgueux

♦ Le taux effectif global (TEG) est le taux réellement pratiqué pour une opération de crédit déterminée.

Il comprend les intérêts conventionnels auxquels s'ajoutent, en vertu de l'article L. 314-1 du Code de la consommation, « les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l'emprunteur et connus du prêteur à la date d'émission de l'offre de crédit ou de l'avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l'obtenir aux conditions annoncées »

Le TEG a donné lieu à une abondante jurisprudence au cours des dernières années. Il faut dire que le contentieux du TEG n'a cessé de croitre sous l'impulsion :

- d'une part, d'une frénésie législative, les obligations d'information imposées au prêteur dans un but de protection de l'emprunteur étant régulièrement renforcées,

- d'autre part, d'un véritable effet d'aubaine, certains emprunteurs ayant perçu dans la contestation du TEG de leur prêt le moyen d'obtenir une réduction substantielle des sommes à rembourser.

♦ Il est vrai que l'erreur de calcul affectant le TEG stipulé par le contrat de prêt entraine de lourdes sanctions pour le banquier dispensateur de crédit.

Lorsque la contestation porte sur le TEG d'un prêt professionnel, le banquier encourt la nullité de la clause stipulant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal ( Cass. com., 30 oct. 2012, n° 11-23.034 - Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 12-14.377 - Cass. 1re civ., 27 nov. 2013, n° 12-24.115 : JurisData n° 2013-027190).

Confronté à la contestation du TEG d'un prêt immobilier ou d'un crédit à la consommation, le prêteur s'expose au prononcé de la déchéance de son droit aux intérêts conventionnels (Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 14-29.838), la nullité de la clause prévoyant le taux conventionnel et sa substitution par le taux légal demeurant toutefois la sanction applicable lorsque l'erreur de calcul du TEG est relevée dans l'acte authentique réitérant devant notaire la convention de prêt immobilier (Cass. 1re civ., 18 févr. 2009, n° 05-16.774).

♦ Même si la sanction applicable peut inciter l'emprunteur à contester le taux effectif global de son prêt, celui-ci ne doit pas se risquer à initier une telle procédure à la légère.

Pour avoir une chance de voir son action prospérer, l'emprunteur doit d'abord s'assurer que les délais pour agir ne sont pas expirés.

En effet, en application des dispositions de l'ancien article 1304 du Code civil, la prescription de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, engagée par le débiteur en raison d'une erreur affectant le TEG, est fixée à cinq ans. Cette prescription court, à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur.

Dans le cas d'un emprunteur ayant contracté à titre non-professionnel, le délai court à compter du jour où ce dernier, qui ne pouvait soupçonner le vice de la convention, a eu connaissance de l'erreur (Cass. 1re civ., 16 oct. 2013, n° 12-18.190).

Dans le cas d'un emprunteur ayant contracté à titre professionnel, le délai court à compter de la date du contrat (Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-23.976 – Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-20.398).

L'action en déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts fondée sur les articles L. 312-8 et L.312-33 anciens du Code de la consommation relève également de la prescription quinquennale (Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-21.524, Lavalley c/ SA Caisse d’épargne et de prévoyance Normandie - Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-16.957, Desclèves c/ SA Crédit industriel et commercial). Le point de départ du délai de prescription court à compter de la date d'acceptation de l'offre de prêt (Cass. 1re civ., 3 juill. 2013, n° 12-12.350 - Cass. 1re civ., 15 juin 2016, n°15-12.803).

♦ Si son action n'est pas prescrite, l'emprunteur doit encore démontrer l'erreur de taux dont il se prévaut, en rapportant la preuve de l'erreur de calcul ou l'absence de prise en compte de frais normalement inclus dans le TEG.

L'emprunteur ne peut procéder par simple affirmation.

Ainsi, il appartient aux emprunteurs « d'établir que l'estimation de l'offre de prêt est fausse en ce qui concerne les frais consécutifs à la prise des garanties. (...) Faute pour eux d'établir que d'autres frais n'ont pas été pris en compte dans le calcul du taux effectif global, alors qu'ils étaient une condition d'octroi du crédit, leur argumentation sur le caractère erroné du taux effectif global ne peut prospérer » (CA Aix-en-Provence, 8e ch. C, 21 avr. 2016, n° 14/00837).

Au soutien de leurs demandes, les emprunteurs fournissent la plupart du temps un rapport d'expertise ou une analyse mathématique.

Or, d'une part, la jurisprudence écarte ces rapports d'expertise en raison de leur caractère non contradictoire : « Si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties » (Cass. 1re civ., 30 nov. 2016, n° 15-25.429 : JurisData n° 2016-025784 - CA Nancy, ch. de l'exéc., 27 déc. 2016, n° 15/03460).

D'autre part, le rapport de l'expert financier mandaté par l'emprunteur, ne peut se limiter, sans démonstration convaincante, à alléguer une erreur de taux (Cass. 1re civ., 1er oct. 2014, n° 13-22.778. – Cass. com., 4 juin 2013, n° 12-16.611).

L'absence de valeur probante de ces rapports est également le résultat d'expertises qui se contentent de réaliser des calculs grossiers à partir de l'offre de prêt: « Considérant que ces deux rapports ne fournissent aucun détail sur les montants mentionnés, ni aucune explication sur la méthode de calcul et qu'ils sont dès lors dénués de valeur probante ; Considérant en outre que ces rapports ne précisent ni l'incidence qui en résulterait sur le TEG, ni le montant du TEG qui serait selon eux exact, de sorte qu'ils ne permettent pas de démontrer que l'erreur éventuelle affectant le TEG, résultant de l'écart entre le TEG mentionné dans les deux prêts et le taux réel, est supérieure à 0,1%, qui est la décimale prescrite par l'article R.313-1 du Code de la consommation ; Considérant en conséquence que Madame G. ne rapporte pas la preuve du caractère erroné du TEG » (CA Paris, pôle 5, ch. 6, 9 déc. 2016, n° 15/05695 . - CA Grenoble, 1re ch. civ., 18 oct. 2016, n° 14/01894).
♦ Si l'emprunteur parvient à établir que le taux effectif global stipulé dans son contrat de prêt est affecté d'une erreur, encore faut-il que cette erreur soit supérieure à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 ancien du Code de la consommation, c'est-à-dire la première décimale.
En effet, l'ancien article R.313-1, II du Code de la consommation dispose que :
"II. -Pour les opérations de crédit destinées à financer les besoins d'une activité professionnelle ou destinées à des personnes morales de droit public ainsi que pour celles mentionnées à l'article L. 312-2, le taux effectif global est un taux annuel, proportionnel au taux de période, à terme échu et exprimé pour cent unités monétaires. Le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l'emprunteur […].
Lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu'annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l'année civile et celle de la période unitaire. Le rapport est calculé, le cas échéant, avec une précision d'au moins une décimale".
Ainsi, la Cour de cassation a décidé qu'une action en nullité du taux conventionnel devait être rejetée lorsque « l'écart » entre le TEG mentionné et le TEG exact était « inférieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du Code de la consommation ».
Cette solution, dégagée en 2014, n'a pour l'heure pas été remise en cause. Elle vaut tant pour les prêts professionnels que pour les prêts consentis aux consommateurs (Cass. 1re civ., 1er oct. 2014, n° 13-22.778, SCI M. c/ Crédit mutuel de la Défense - Cass. 1re civ., 26 nov. 2014, n° 13-23.033 - Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, n° 14-14.216 - Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, n° 15-24.914 - Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-24.607).
La Cour de cassation a encore très récemment réitéré cette solution, à propos d'un prêt professionnel, statuant de la manière suivante : "Ayant relevé que l'écart entre le taux effectif global de 5,672 % l'an mentionné dans le contrat de prêt et le produit du taux de période, non contesté, par le nombre d'échéances de remboursement dans l'année, soit 5,743 %, était inférieur à la décimale prescrite par l'article R. 313-1 du Code de la consommation, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté la demande d'annulation de la clause d'intérêts conventionnels du contrat de prêt" (Cass. com., 18 mai 2017, n° 16-11.147, Société Jesylac c/ Société Banque populaire de l'Ouest).

Lorsque l'erreur de calcul du TEG stipulé dans l'acte de prêt se révèle supérieure à la décimale prescrite par l'ancien article R.313-1 du Code de la consommation, l'emprunteur ne verra aboutir son action en nullité ou en déchéance des intérêts contractuels que si l'erreur lui cause grief. En effet, la Cour de cassation a jugé que la demande en nullité de la stipulation d'intérêts devait être rejetée, dès lors qu'elle ne faisait pas grief à l'emprunteur qui arguait d'un taux effectif global inférieur à celui qui était stipulé dans l'acte de prêt, de sorte que l'erreur alléguée ne venait pas à son détriment (Cass. 1e civ. 12 octobre 2016 n° 15-25.034).
♦ Enfin, si l'emprunteur parvient à établir que le TEG mentionné dans son contrat de prêt est affecté d'une erreur de calcul supérieure à la décimale prescrite par l'ancien article R.313-1 du Code de la consommation et que cette erreur se révèle être à son détriment, alors il peut prétendre substituer le taux légal au taux d'intérêt contractuel.
C'est là le seul bénéfice auquel il doit s'attendre.
La Cour de cassation a en effet jugé que la sanction du taux effectif global erroné est exclusivement la substitution du taux légal au taux conventionnel, et non la responsabilité pour faute du prêteur. L'emprunteur victime d'un TEG erroné ne peut obtenir de dommages et intérêts, la Cour de cassation considérant que le préjudice subi est suffisamment réparé par la substitution du taux légal au taux conventionnel (Cass., 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18.053).

En somme, un parcours du combattant pour un résultat aléatoire…

Publié le 20/09/2017